Zack Snyder

Alors que les versions longues de Rebel Moon arrivent bientôt sur Netflix, il est temps de parler de ce réalisateur et de sa démarche particulière qui divise à chaque sortie. Comme pour Christopher Nolan, je trouve les analyses de sa mise en scènes incomplètes, donc j'espère que cet article vous aidera à y voir plus clair sur son œuvre.

 

1) L’Armée des morts et la démarche de Snyder

C'est en voyant le premier film de Zack Snyder, L'Armée des mort, sorti en 2004, que j'ai commencé à comprendre les codes de sa mise en scène. Pour rappel, L'Armée des morts est un remake de Zombie, un film de 1978 connu pour avoir posé certains codes des films de... zombies, notamment la critique politique de la société de consommation : les zombies ne sont que des coquilles vides errant dans les supermarchés.
La version de Snyder est davantage portée sur l'action, avec des zombies bien plus puissants et rapides, et surtout avec quelques images dont il a le secret : des gros plans accompagnés de ralentis très esthétisés. Certains critiques ont reprochés à L'Armée des morts de perdre la substance de l'original, c'est-à-dire de ne pas contenir de critique sociale et politique, créant au passage la première petite polémique autour d'une œuvre de Zack Snyder.
Durant le visionnage du film, le plus choquant est effectivement de voir les fameux ralentis que je vais qualifier de “Snyderiens”, puisqu'ils détonnent complètement avec le reste de la mise en scène qui est beaucoup plus classique. Les plans “Snyderiens” subliment l’image et notamment son sujet, à la manière d’une publicité qui cherche à vendre son produit. En effet, Zack Snyder a d'abord travaillé dans la publicité avant de réaliser des long-métrages, et il en a emprunté les codes pour faire ses ralentis esthétisés. Nous sommes donc devant un film sensé critiquer la société de consommation qui contient des plans qui semblent directement issus de publicités : nous sommes face à un paradoxe, et c’est justement cela qui vaudra régulièrement à Snyder des accusations de contre-sens ou de non-sens. Mais comme pour Christopher Nolan, c'est en comprenant le paradoxe que nous pourrons saisir le réel sens de la mise en scène de Snyder.
Sa démarche est en fait centrée sur l'ironie, le cynisme et la déconstruction. Dans L'Armée des morts, le cynisme provient du contexte de 2004 par rapport à celui de 1978 : la société de consommation est beaucoup plus répandue et acceptée, donc L'Armée des morts est lui-même le produit de cette société. Le cinéma est également devenu une industrie, et le produit le plus consommé est le film d'action, d'où le changement de registre par rapport à Zombie. Les plans Snyderiens ne sont pas faits au hasard, ils subliment tantôt une arme ou tantôt une cigarette, donc de grosses industries américaines. Et bien sûr, le ralenti sur une explosion est typique du blockbuster qui veut en mettre plein les yeux au public. Tous ces éléments participent à faire de L'Armée des morts un "produit" de consommation. Détail intéressant, beaucoup de films de zombies sont ce qu’on appelle des films d’exploitation.
Pour que l'ironie de la démarche soit pertinente, il faut qu’elle soit appliquée à tous les niveaux : les zombies qui vont plus vite ne sont pas sans rappeler la frénésie des soldes. Les rendre quasiment inarrêtables représente une volonté de consommer qui est beaucoup plus forte qu'en 1978. Je ne vais pas analyser en détail le film et le script de James Gunn, mais je pense que toutes les morts des personnages sont également une métaphore d'un contexte capitaliste extrême : à chaque fois qu’ils ont essayé d’aider quelqu’un, ils en ont payé le prix. Pour survivre, il vaut mieux être égoïste et éviter d'être trop émotionnel. L'Armée des morts est d'après moi un film intéressant et plus subtil qu'il n'y paraît, à l'image de la filmographie de son réalisateur.

 

2) 300, le film Snyderien par excellence

300 est la quintessence du cinéma de Zack Snyder, puisque l'intégralité de la mise en scène est basée sur des ralentis esthétiques et des “codes publicitaires”. Pour comprendre l’œuvre, il faut donc trouver l’ironie et le cynisme dans la démarche, ce qui implique des spoilers.
300 est l'histoire de Dilios, un soldat spartiate qui raconte le combat héroïque de Léonidas et de ses 300 plus valeureux guerriers contre l'armée perse. En parallèle, Dilios raconte les efforts de la reine Gorgô, femme de Léonidas, pour convaincre le conseil d'envoyer des renforts afin de vaincre l'ennemi. À la fin, nous comprenons que l’histoire racontée par Dilios a aussi été entendue par ce conseil, et qu’il est maintenant en train de la narrer à l’armée levée par la Grèce pour affronter les Perses. Et voilà justement l'ironie.
Que nous montre 300 ? Le discours rapporté d'un soldat qui a besoin de convaincre un conseil et de galvaniser une armée. Cela explique toute la représentation graphique du film, ainsi que tout ce qui lui est reproché : les spartiates sont forts et virils, le traître est moche et chétif, l'ennemi emploie des monstres, leur chef est efféminé et cruel, il utilise la tromperie et des sortilèges, etc. L'histoire de Léonidas est une propagande spartiate, et par conséquent 300 est le film idéal pour que Snyder utilise son style "publicitaire". Le vice est poussé jusqu'à laisser une énorme incohérence : Dilios quitte Léonidas et ses hommes avant leur défaite, et pourtant il raconte leur mort héroïque. C’est tout simplement illogique et on peut donc considérer que toute l’histoire est une supercherie qui a pour objectif de manipuler.
Avec du recul, l’histoire de Léonidas nous montre une éducation spartiate qui lave le cerveau des guerriers afin qu'ils donnent leur vie pour leur pays. Ces mêmes guerriers ont un sens de l'honneur qui les pousse à provoquer l'ennemi et à déclencher un conflit meurtrier, ainsi qu’une intolérance qui amènent ceux qui sont différents à les trahir. Tout cela les conduira inexorablement à la défaite et à la mort. La propagande spartiate portée par Dilios permet même d'embellir cette défaite et de la transformer en victoire, qui permettra de perpétuer la violence, le conflit et la guerre. C’est là que résident l’ironie et le cynisme du film.
Comme pour L'Armée des morts, la mise en scène sublime ce qu'elle dénonce, et manipule le spectateur en lui faisant prendre le parti des spartiates, puisque c'est l'objectif du narrateur Dilios. 300 est un film fascinant sur le pouvoir de la manipulation, de l'embrigadement par les images et le discours orienté. La démarche de Snyder a mis en abîme son propre film : elle a été tellement efficace que peu de gens ont saisi son cynisme et qu’elle a permis à certains individus aux convictions nauséabondes de projeter leur idéologie… ! 300 est donc un film pertinent malgré son apparence totalement décérébrée.

 

3) Le retour de Watchmen : Les Gardiens

Je vous redirige vers mon article pour plus de détails sur la signification du comics Watchmen. J'explique globalement que le comics a plusieurs propos : une déconstruction du concept de super-héros, des réflexions philosophiques et politiques sur l’humanité, et surtout un propos “méta” sur le pouvoir manipulatoire de l’art. Ce dernier est basé sur une opposition entre deux formes différentes de manipulation : celle d’Ozymandias et celle de Rorscach. Pour adapter ce comics sur grand écran, Snyder est un bon choix puisque ses œuvres sont “méta” et contiennent des déconstructions. Le film ne pouvant pas reprendre l’intégralité des 450 pages du comics, il brasse moins de sujets et est moins profond que ce dernier. Mais il en a néanmoins conservé la démarche en adaptant son aspect “méta” au changement de média. Spoilers.
La déconstruction des héros se fait à travers le même décalage que 300 : les héros sont icônisés à la “Léonidas” durant les scènes d’action alors que le scénario les humanise et les déconstruit. Le réalisateur a de nouveau été accusé de faire un contre-sens. Pourtant, le décalage permet justement de mettre en exergue cette déconstruction du super-héros. Seul un personnage fait exception, comme dans le comics : Rorschach. En effet, son icônisation est telle que ce type détestable devient badass et par la même occasion le personnage le plus apprécié. C’est la première forme de manipulation opérée par Snyder.
La seconde forme de manipulation, celle d’Ozymandias, est plus proche de ce que l’on peut trouver dans L’Armée des morts. Comme je l’ai évoqué, Snyder et les scénaristes se sont adaptés au changement de média (cette adaptation se voit également dans les costumes par exemple) et ont un peu changé le propos. Au lieu d’opposer les deux formes de manipulations artistiques, Snyder oppose deux formes de manipulation du divertissement : l’icônisation par les images “à la 300” que l’on vient de voir, et le “contrôle de la pensée” par une forme de “surcharge” de divertissement. À la place d’une créature lovecraftienne, Ozymandias provoque une énorme explosion (la représentation du blockbuster) à New-York. L’explosion, généralement si cool dans les films, devient horrible lorsqu’elle est appliquée dans un contexte réaliste, montrant que le divertissement peut servir à masquer la violence. Cette tragédie, qui n’est pas sans rappeler le 11 septembre d’ailleurs, entraîne le rejet du docteur Manhattan : symboliquement, le divertissement via l’explosion prend le pas sur le savoir, la compréhension du monde ou l’exploration de l’être humain vécue par le personnage durant le film.
On en revient au regard cynique de Snyder sur sa propre industrie, ses consommateurs, et l'humanité en général, ce qui semble très pertinent dans une œuvre comme Watchmen. Bien sûr, le film est moins profond que le comics. Mais selon moi, il reste un succès puisqu’il arrive à me faire ressentir un vertige existentiel similaire. Quant à la démarche d’adaptation, elle est nécessaire à tout changement de média : on peut être en désaccord avec les choix faits par Snyder et les scénaristes, cependant on ne peut pas les accuser d’avoir mal compris l’œuvre d’origine.

 

4) Inspirations de Snyder, Le Royaume de Ga'hoole et défauts de la démarche

Les inspirations de Zack Snyder permettent également de deviner sa démarche : il cite régulièrement Starship Troopers et Robocop en interview par exemple. Ce sont des films cyniques du réalisateur Paul Verhoeven, qui permettent de faire un parallèle direct entre les deux artistes. On peut ensuite citer Excalibur, que je n’ai pas vu, mais qui semble mettre en contraste une mise en scène très esthétique et une histoire tragique et violente, démystifiant ainsi les légendes arthuriennes. Snyder pourrait être qualifié de “Verhoeven moderne” avec une démarche visuelle à la Excalibur. 300, par exemple, est un Starship Troopers contemporain avec une mise en scène tellement poussée que son sens réel est resté caché.
Nous retrouvons dans Le Royaume de Ga'Hoole tout ce que nous avons dit précédemment : des ralentis esthétisés épiques, accompagnés d'une critique de la recherche de la force et de la violence ; le fait que les légendes ne sont que des fables qui éludent cette violence au lieu de la dénoncer ; l'embrigadement par un système de valeur basé sur la force ; un parallèle entre les gentils et les méchants qui montre qu'ils ne sont pas si différents ; enfin une déconstruction des héros légendaires, qui sont faillibles et pas à la hauteur de leur image.
La différence avec les précédents films est que le cynisme ne touche pas le protagoniste, probablement parce que Ga’Hoole est adressé aux enfants. Soren s'inspire des légendes pour faire le bien sans vouloir spécialement se battre, donc il devient un vrai héros, alors que son frère Kludd se fait endoctriner par un système “spartiate”. Pensant que personne ne croit en lui, il se radicalise et se tourne vers la recherche de la force. Ga’hoole est donc bien la preuve de tout ce qui a été dit précédemment, par exemple le fait que Snyder ne soutient pas la mentalité spartiate de 300 dans ses films, mais la critique.
Mais c’est aussi dans Ga’hoole que les défauts du metteur en scène se voient le plus. En effet, expliciter une déconstruction prend du temps : il faut construire une croyance avant de la remettre en question. Ce n’était pas un problème jusque là puisque les précédents films de Snyder laissaient au public le soin de trouver la remise en question. Mais comme Ga’hoole est un film pour enfants, Snyder doit expliciter sa déconstruction en 1h40, au détriment d’impératifs narratifs standards : une exposition claire, une bonne caractérisation des personnages et une évolution progressive et naturelle. Le récit est donc maladroit et bourré de clichés. Il avance trop rapidement, ce qui fait que le spectateur ou la spectatrice n’est pas investi.e et ne développe aucun attachement pour les personnages. Cette maladresse est présente dans la plupart des films qui vont suivre, mais Ga'Hoole est celui qui, personnellement, me laisse le plus froid. C’est bien dommage, puisque son fond est intéressant et pertinent, et que c'est un petit bijoux visuel.

 

Sucker Punch est le premier film écrit par Snyder. Néanmoins, il a révélé en interview que le film, dans sa version cinéma ou sa version longue, ne correspond pas à sa vision d’origine : il y a donc eu des ingérences studio qui expliquent cet écart. Je dois néanmoins mentionner que, d’après moi, cet écart est aussi une conséquence naturelle du défaut de la démarche de Snyder, mentionné ci-dessus. En effet, nous sommes face à un réalisateur qui demande un budget plutôt élevé, une liberté artistique absolue permettant d’expliciter sa déconstruction, pour un résultat long, complexe et potentiellement polémique (qui le serait moins si on le laissait faire, mais bon). Cela va forcément créer des tensions avec les studios qui sont, comme Snyder le critique, une industrie du divertissement. Dans ce contexte, la démarche de Snyder n’est pas suffisamment adaptable, ce qui est un problème puisqu’elle amènera de nouveau à ce genre de situation, négative pour tout le monde : Snyder est frustré, le studio n’a pas son retour sur investissement et le public se retrouve avec un film que je vais qualifier d’”incomplet”, pas suffisamment divertissant ni artistique.

Malgré tout cela, Sucker Punch reste un pur film de Snyder, intéressant et simple à interpréter avec tout ce que nous avons appris. Le film a de nouveau été compris à contre-sens, étant accusé de sexisme alors que c’est justement ce qu’il déconstruit. Sucker Punch parle de manipulation et du pouvoir de l’imagination, mais cette fois c’est la protagoniste Babydoll qui l’applique sur elle-même. Enfermée dans un asile et cherchant à s’échapper avant une lobotomie, elle va préférer s’imaginer dans un cabaret/maison close où elle devra faire diversion grâce à sa danse. Durant ses prestations, Babydoll va s’imaginer effectuer des missions proches de celles d’un jeu vidéo, dans lesquelles elle devra affronter des monstres et des armées entières pour réussir. Nous avons donc une protagoniste qui se manipule elle-même sur trois niveaux de réalité, avec les codes publicitaires Snyderiens qui subliment le bordel et les combats.
Il y a une nouvelle fois une opposition entre le scénario et les images : le scénario nous parle de Babydoll, une femme oppressée par un homme qui veut la faire lobotomiser pour toucher un héritage. Cette oppression va la faire involontairement tuer sa sœur. Une fois dans l’asile, elle va s’allier avec d’autres femmes oppressées pour s’en échapper. Pour rendre le quotidien plus supportable, Babydoll va s’imaginer dans un bordel, où les hommes chercheront à exploiter son corps plutôt que son esprit. Pour s’échapper, elle pourra compter sur la danse, soit un moyen d’expression personnel, qui la projette dans un monde où elle est émancipée, puissante et capable d’affronter n’importe quel ennemi.
Le récit fait de Sucker Punch un film féministe qui critique les hommes à la recherche de pouvoir et d’argent (que ce soit le beau-père de Babydoll ou les clients du bordel), qui parle de l’union des femmes pour mieux résister tandis que les hommes cherchent à les monter les unes contre les autres, de la différence entre l’abus du corps et celui de l’esprit, d’émancipation à travers le fantasme, bref, de problématiques peu répandues en 2011 mais qui sont davantage connues aujourd’hui.
Néanmoins, le concept et les images nous montrent autre chose et vont à l’encontre de ce qui a été décrit précédemment : des femmes qui n’ont même pas de nom, et ont à la place des surnoms dégradants/condescendants (Babydoll, Blondie, Sweet Pea…), qui sont en tenues affriolantes dans un bordel et qui doivent utiliser leur corps pour s’enfuir. Même leur fantasme de puissance est un prétexte d’objectification. C’est ici tout le cynisme de Snyder, et la fin que je ne spoilerai pas va également dans ce sens : dans un monde patriarcal, les femmes, même à travers leur émancipation, pourront toujours être exploitées et objectifiées, par exemple dans un film de divertissement hollywoodien dont le marketing va mettre en avant de l’action avec des héroïnes en petite tenue. Ainsi, le film cherche à se mettre en abîme comme pour 300, et c’est au spectateur éclairé d’aller au-delà des images, d’humaniser ces femmes dont on suit le parcours, et de comprendre pourquoi Sucker Punch est construit sur trois niveaux de réalité.
D’après moi, le concept se tire quand même une balle dans le pied dans sa mise en abîme : sa structure sur trois niveaux de réalité est trop intellectuelle pour un public qui cherche le divertissement et ne remettent pas en cause le patriarcat, mais les parties les plus régressives rebutent le public intellectuel qui pourrait saisir le cynisme de l’œuvre. Malgré cela et l’ingérence du studio, Sucker Punch est très intéressant puisqu’il fait réfléchir sur le sexisme avec pertinence, et il est dommage de ne pas avoir la version que Snyder avait prévu à l'origine.

 

Man of Steel est un film très particulier dans la filmographie de Snyder. Sa mise en scène se veut quasiment documentaire, ne contient aucun ralenti, et seule la lumière semble irréelle et se rapproche ainsi des codes habituels Snyderiens. Cependant, elle porte une signification opposée à la mise en scène cynique des films précédents : elle met en avant l'espoir et l'optimisme que représente Superman par rapport au reste du monde qui est froid et terne. C'est d'ailleurs le plus gros problème du film : son échec à retransmettre le contraste entre Superman et le reste du monde à travers les personnages.
Jonathan Ken, le père de Clark Kent/Superman, transmet des messages contradictoires : il veut le cacher à tout prix, lui dit qu’un jour il fera face à l’humanité et changera le monde, mais qu’il peut rester simple fermier. De son côté, Clark cherche ses origines pour savoir ce qu’il veut devenir, tout en respectant le souhait de son père de rester caché, mais en même temps il ne peut pas s’empêcher de protéger les gens. Cela rend difficile l’attachement aux personnages, comme souvent chez Snyder, et ce n’est pas à travers eux que nous pouvons comprendre le fond de Man of Steel. Je suis sûr que des scènes étaient prévues pour rendre cela plus cohérent, mais qu’elles ont été coupées pour que le film fasse moins de 2h30 (et on en revient au défaut de la démarche de Snyder). Au final, il manque au film une critique plus explicite de l’humanité qui permettrait de comprendre ce qui est sous-entendu : l’humanité peut être mauvaise. Jonathan essaie donc de protéger son fils, de lui dire qu’il a le pouvoir de changer les choses mais qu’il a le choix de son avenir (thème central du film comme nous allons le voir) et qu’il vaudrait mieux attendre le moment propice pour se montrer et gagner la confiance du reste du monde : évènements qui se dérouleront durant Man of Steel, et la suite prouvera qu’il n’aura pas vraiment gagné cette confiance…
Il y a bien une autre critique de l’humanité dans le film, mais elle est présente de manière allégorique. Il faut en fait tracer un parallèle avec Krypton : une société optimisée pour l'efficacité (jusqu'aux individus qui ont un rôle prédéterminé avant la naissance), qui s'est sabotée en exploitant sa planète jusqu'à sa destruction. Snyder, Nolan (qui produit et a participé à l’écriture) et le scénariste David S. Goyer critiquent la direction prise par notre société, qui recherche le profit au mépris de l’environnement. Superman, premier kryptonien né sans rôle prédéfini depuis longtemps, symbolise le choix et la possibilité d’emprunter une autre voie. On peut d’ailleurs noter les inspirations visuelles et scénaristiques du film : la trilogie Matrix à travers les machines qui cultivent les nourrissons kryptoniens et Superman qui est un équivalent de Néo, ou encore Avatar avec la créature utilisée par Jor-El sur Krypton.
Une fois que l'on a ce sens d'interprétation, énormément d'éléments de Man of Steel deviennent limpides. Le premier sauvetage de Clark que l'on voit est sur une plate-forme pétrolière et se termine par la vision de baleines sous l'océan. Superman se dépasse et apprend à voler dans la nature, et le combat final contre Zod a lieu dans une grande ville. Oui, Snyder aime rappeler que la violence fait toujours des dégâts, mais c'est symboliquement signifiant : ce sont dans les métropoles que se joue le combat entre la mentalité kryptonienne de Zod (travail et rôle prédéfini dans des grandes tours pleines de bureaux) et l'approche plus humaine de Superman, fermier empathique qui se dépasse par sa connexion à la nature.
Le parcours de Zod montre une forme d’impasse : formaté par son objectif, il n'est plus rien si on lui enlève, alors qu'il pourrait choisir une autre voie s'il était plus libre comme Superman. Spoiler : le film va jusqu'au bout de la démarche puisque Clark devra anéantir l’intégralité de la société kryptonienne pour le bien de l'humanité. Cela combine une vision réaliste nécessitant sacrifices et choix difficiles, et la déconstruction Snyderienne du héros. Cela accentue également le fait que la mentalité kryptonienne jusqu’au-boutiste incarnée par Zod ne peut qu’amener à une annihilation totale.
J'aime beaucoup Man of Steel, et ses maladresses ne sont pas suffisantes pour limiter le film à son aspect grand spectacle. C’est une réflexion profonde et sincère sur l'humanité et la direction qu'elle devrait prendre, avec des images superbes et symboliquement fortes.

 

Batman v Superman est dans la droite lignée des films Snyderiens. Nous avons droit aux questionnements sur le pouvoir des images et la place des icônes, à travers la perception de Superman par l'humanité. J’aime particulièrement le montage télévisé qui semble dépeindre un être tout-puissant et orgueilleux, alors qu’il reste le bon gars de Man of Steel. Nous avons un Batman "Rorschachisé" qui décide d'aller jusqu'au bout suite à une forme de paranoïa déclenchée par un traumatisme rappelant le 11 septembre. Et nous avons un Lex Luthor Junior qui possède du pouvoir par son influence et son argent, malgré son incapacité à sembler sain d'esprit (coucou Musk ou Bezos). Lex Luthor se sert de ce pouvoir pour détruire l'icône que représente Superman, son image presque divine, à travers une question philosophique et théologique connue : s’il existe un être si puissant et si bon, pourquoi y a-t-il encore du mal en ce monde ? Lex manipule Batman et Superman afin qu’ils se battent, et montrer que Superman peut perdre la vie ou en prendre une, donc qu’il n’est pas si puissant ou pas si bon.
Ce plan débute par la création de toute pièce d'un incident diplomatique, lorsque Superman sauve Loïs Lane sans penser aux conséquences, introduisant le fait qu'il ne peut pas être partout à la fois et qu'il ne doit pas faire du favoritisme s'il veut apporter de l'espoir à tout le monde. Finalement, le film montre que Superman, Batman et Lex Luthor Junior sont tous très humains par leur filiation : Superman est bon grâce à l'éducation des Kent, Batman a sombré dans la noirceur suite à la mort de ses parents et Lex Luthor Junior ne croit pas en une force supérieure ni en la bonté puisqu'il a été battu par son père et que personne ne l'a sauvé. Lorsque Batman et Superman se comprennent, ils se mettent à travailler ensemble afin que Superman n’ait plus de choix cornélien à faire : lui peut incarner l'espoir pour l’humanité, pendant que Batman sauve l'une de ses proches.
Le film est très dense puisqu’en plus de tout ça, Batman v Superman aborde encore d’autres sujets comme l’influence de la presse, la politique, la nature du pouvoir, le nucléaire… à la manière d’un Watchmen à la sauce Snyder, Goyer et Chris Terrio. Il faut ajouter les demandes de la Warner, qui a souhaité introduire la Justice League dans ce film afin de concurrencer Marvel. La version longue est donc bien plus plaisante que la version courte.
Personnellement, je préfère un film très ambitieux qui a ses maladresses (manque de subtilité, personnages peu attachants, trop de demoiselles en détresse), que des films vides de sens, sans personnalité ou même avec des concepts au potentiel plus grand comme Sucker Punch. Je trouve qu’il émane de Batman v Superman une passion et une énergie qui proviennent des artistes : ils et elles voulaient aborder de nombreux sujets et ont donc tout fait pour les mettre dans un film déjà ambitieux, qui ne devait pas durer plus de 2h30 et devait inclure de la publicité pour les suites. Le résultat est une œuvre qui a un fond, qui a un sens et qui a en plus le luxe d’avoir des scènes d’action divertissantes et dantesques, ce qui fait que je lui pardonne volontiers ses défauts.

 

Je rassemble ces deux films puisqu'ils sont sortis la même année (2021) et qu'ils sont tous les deux fortement impactés par le décès de la fille de Snyder.
Zack Snyder's Justice League l'est de manière assez particulière : son tournage était en cours quand la tragédie a eu lieu. Je ne vais pas refaire l’historique du projet avec des spéculations sur ce qu’il s’est passé en coulisse. Ce qui est notable, c’est la différence de vision entre le studio Warner et Snyder (dont, rétrospectivement, on pouvait déjà voir des traces dans les films précédents). En ressort donc un film que Zack Snyder a pu finir librement (la preuve étant sa durée de 4h), mais dont l’écriture était déjà influencée par une volonté extérieure.
Snyder dédie le film à sa fille et explique en interview que c’est un film plus lumineux que Man of Steel ou Batman v Superman. En effet, Zack Snyder's Justice League parle d'unité, de l'espoir que représente Superman et de la gentillesse de Flash. Cependant, on retrouve toujours son cynisme :
- L’antagoniste Steppenwolf se fait exécuter par la Justice League, alors qu’il est contraint d’obéir à Darkseid et qu’un terrain d’entente aurait pu être trouvé.
- Les ralentis excessifs qui, comme on l'a vu, ne représentent pas des choses positives dans la filmographie de Snyder.
- Une critique de l’humanité au travers de l’histoire de Cyborg.
- Spoiler : le costume noir de Superman lors de son retour, qui a une signification négative dans les comics, alors qu'il porte son costume rouge et bleu dans le futur alternatif où il passe du côté obscur.
Justice League ayant en plus une dimension mythologique, on retrouve bien tous les codes cyniques de Snyder malgré l’influence de la Warner dans l’écriture. Il semble assez naturel que sa critique de l’industrie et sa remise en question des icônes soient présentes dans un film qui résulte de tensions avec les studios hollywoodiens. Le décès de la fille de Snyder a totalement chamboulé la production du film, d’où le fait qu’il lui soit dédié.

Army of the Dead est différent puisqu’aucun cynisme n’est présent : pas de ralenti, une forme de retour aux sources avec un film de zombies et au centre du récit, une relation paternelle touchante. Il s’inspire d’ailleurs grandement d'Aliens, qui explore également une relation parentale en terrain hostile. En ce qui concerne le fond d’Army of the Dead, le film va au bout de la métaphore zombie, puisque cette fois le zombie semble devenir plus humain que l'humain, qui lui est intolérant, par exemple en laissant des gens vivre dans des ghettos construits avec des containers (imagerie que je trouve très inspirée). Les zombies sont forts parce qu'ils ont été créés par l'armée, critique habituelle de la recherche de la force, et les personnages se mettent en danger pour rechercher de l'argent, en distinguant ceux qui le font pour des raisons altruistes et les autres. C’est donc un film sincère et direct de Snyder qui est également un bel hommage à sa fille, puisqu’il se concentre sur une relation père-fille.

 

9) Rebel Moon et conclusion

Snyder ayant besoin d’une liberté totale pour installer ses films dans la durée, il semblait naturel qu’il trouve sa place sur Netflix pour qui il a réalisé Army of the Dead. Malheureusement, l’annonce des films Rebel Moon a rapidement été suivie par l’annonce de versions longues, prouvant qu’il n’a pas eu une liberté totale. L’image “artistique” que se donne Netflix s’estompe bien vite dès que l’on parle de films à gros budget. Ne voyant pas l’intérêt de voir un énième film de Snyder raccourci par un studio, je n’ai pas visionné les versions courtes de Rebel Moon et j’attends les versions longues.
Je m’excuse pour la longueur de l’article, mais chaque film de Snyder a généré des incompréhensions différentes qui nécessitaient leur paragraphe explicatif. Comme dans mon article sur Christopher Nolan, il me fallait parler de la perception de Snyder par le public et les critiques qui lui sont faites pour mieux expliciter son style. Et comme pour Nolan, même ses fans sont dans l’erreur : certain.es le prennent pour un masculiniste servant leur cause et d’autres vénèrent son style visuel icônique alors que Snyder s’en sert avec cynisme. Maintenant, je pense avoir donné toutes les clés pour comprendre sa filmographie et montrer que ce n’est pas un metteur en scène décérébré qui fait des contre-sens ou des non-sens.
Je précise aussi que je ne suis pas un fervent défenseur du metteur en scène : sa démarche a des défauts que j’ai soulevés et je préfère des approches moins cyniques comme celles de Nolan ou des Wachowkis. Personnellement, je le verrais bien être plus direct, par exemple en mettant en scène un scénario sombre comme celui d’un épisode de Black Mirror, ou un scénario satirique à la The Boys (qui génère aussi de l’incompréhension malgré son approche directe…).
Néanmoins, Zack Snyder est un artiste très intéressant, un auteur, qui a toute ma considération. D’ailleurs, son style se marie parfaitement à l’animation qui permet, par nature, d’exacerber la réalité : je suis curieux de voir sa future série Twilight of the Gods, qui parle de mythologie, d’une femme tuant des dieux de manière violente. Il s’agit en plus d’une coproduction avec le studio français Xilam. Il est certain que la carrière de Zack Snyder nous réserve encore des surprises !

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