Christopher Nolan

Alors qu'Oppenheimer est dans les salles de cinéma, il est temps de parler de ce réalisateur à succès mais qui ne fait pas l’unanimité chez les cinéphiles. Ce que je trouve intéressant, c’est que sa démarche est très particulière et que je n’ai pas vu grand monde en parler en détails, donc peut-être que cet article vous aidera à vous faire votre avis définitif sur le bonhomme.

 

1) La démarche de Christopher Nolan

L’approche narrative de Christopher Nolan est un peu complexe (ce n’est pas un hasard si le logo de sa boîte de production est un labyrinthe) car elle repose sur 3 axes différents.

  • Le divertissement : l’un des objectifs de Christopher Nolan est de divertir le public. Pour cela il utilise un rythme rapide, il multiplie les intrigues et les fusils de Tchekhov (ou “setup payoff”), le montage fait des bonds dans le temps et il utilise une imagerie impressionnante et immersive. Tous ces éléments lui permettent de maintenir le suspens, de créer des diversions et d’amener des retournements de situation inattendus.

  • Le thème principal : un autre objectif du réalisateur est la transmission d’un message ou d’une morale. C’est généralement très explicite dans ses films, puisque les personnages évoquent verbalement cette morale à travers les dialogues. Pour ce faire, il respecte scrupuleusement les principes de la structure en 3 actes décrite dans mon article sur Black Mirror.

Avec ces 2 points, plusieurs conclusions s’imposent.

  • Christopher Nolan peut être vu comme un artiste engagé, c’est-à-dire une personne qui essaie de transmettre quelque chose au public à travers son art. L’objectif est d’influencer les individus, souvent dans le but d’améliorer la société. Sa rigueur dans la structure de ses films ainsi que la mise en avant explicite de leur propos seraient le reflet de cette volonté, alors que l’aspect divertissement peut être vu comme un moyen de toucher un maximum de monde.

  • Pourtant, les deux axes présentés sont contradictoires : l’objectif de la structure en 3 actes est de transmettre un propos avec clarté, alors que la complexification du récit qui favorise le divertissement a l’effet inverse.

  • De cette contradiction découle la plupart des reproches qui peuvent lui être fait, comme le manque de subtilité dans le traitement du thème, la mise en scène qui semble très “fonctionnelle” ainsi que le manque d’émotion chez ses personnages. En effet, l‘absence de narration linéaire empêche les personnages d’être des vecteurs d’émotion efficaces, et on peut comprendre que Nolan explique ce qui se passe par les dialogues ou l’image afin d’être sûr que le public comprenne. Globalement, cela peut donner l’impression que sa démarche est artificielle puisque l’objectif semble être de faire comme d’habitude (une structure en 3 actes), mais en plus compliqué.

  • Malgré tout, le paradoxe amène aussi des réflexions intéressantes.

    • Il fait écho à une contradiction qui existe au sein même de l’industrie du cinéma : l’art contre le divertissement. Si la démarche de Nolan est parfois critiquée pour être peu artistique (ce que je vais réfuter juste après), elle est plébiscitée par une majorité du public pour son côté divertissant. Ces deux notions ne sont pas toujours opposées comme l’ont prouvé d’autres œuvres (dont je parlerai sûrement dans ce blog), mais il est souvent difficile de concilier les deux et la méthode de Christopher Nolan réussit à le faire.

    • Ces films prouvent que la structure narrative sert surtout le fond, et non le déroulement de l’histoire. Rien n’empêche de raconter une histoire dans le désordre tant que l’on introduit, développe, puis conclut sur le thème/message/propos. C’est une excellente réflexion méta sur ce qu’est la narration.

    • Enfin, c’est également un propos méta sur la mise en scène. La mise en scène est l’art de la manipulation : faire croire à un univers tangible alors que ce sont des acteurs, des décors et que le montage permet d’orienter la perception du public. Du coup, n’est-il pas possible de le tromper sur l’ordre dans lequel se déroule le récit ou sur le sens des informations transmises ? Cela peut renforcer l’idée d’artificialité, mais il est difficile de reprocher à Nolan de manipuler par l’image alors que c’est la base du cinéma.

À ce stade, je pense déjà avoir montré que Christopher Nolan a une démarche personnelle (puisque personne d’autre ne fait comme lui) et artistique (puisque ses films transmettent un propos qui reflète sa vision du monde, même si c’est à travers des dialogues explicites ou des images “fonctionnelles”). Sauf que cette démarche est incomplète, puisque j’ai évoqué un troisième axe que Christopher Nolan ne met volontairement pas en avant.

  • La mise en abyme : tous les films de Christopher Nolan reflètent au moins en partie le métier de metteur en scène ou de scénariste, ce qui en font des mises en abyme. Je parlais de “diversion” plus tôt, et selon moi les 2 axes précédents servent de diversion à celui-là, ce qui explique pourquoi cette interprétation passe souvent inaperçue. Mais en analysant le cinéma de Christopher Nolan sous cet angle, sa mise en scène devient bien plus symbolique et les aspects que l’on pourrait qualifier d’”artificiels“ deviennent en fait partie intégrante du propos. Son fameux “réalisme” sert cette mise en abyme, les personnages principaux gagnent en profondeur dès lors qu’on les considère comme des reflets de Nolan lui-même, et sa filmographie devient beaucoup moins “explicite” lorsqu’on sait qu’il a su cacher un niveau d’interprétation au nez et à la barbe de tout le monde durant sa carrière.

Je propose de revenir sur certains de ses films avec ce niveau d’interprétation.

 

Promis, ce n’est pas parce que l’on parle de Christopher Nolan que je parle de ses films dans le désordre, mais parce que je préfère commencer par ceux les plus populaires et dans lesquels cette fameuse mise en abyme se voit le plus.

  1. Batman Begins

    Dans le film, Batman est un metteur en scène. C’est littéralement évoqué dans les dialogues (“theatricality” en V.O.), on parle de la création de toute pièce d’un personnage fictif, de la recherche des artifices qui vont le rendre crédible, le tout afin de provoquer des émotions : la peur chez les criminels et l’espoir chez la population. On peut même pousser le parallèle avec Nolan et l’artiste engagé, puisque Batman considère qu’il est de sa responsabilité de rendre le monde (ou plutôt Gotham) meilleur grâce à ses mises en scène.
    Son adversaire a une approche similaire mais un point de vue nihiliste qui le pousse à croire que la destruction est la seule solution pour reconstruire. Retenez bien cette opposition avec le nihilisme, elle reviendra souvent dans la filmographie de Nolan.

  2. The Dark Knight

    Le Joker est le grand metteur en scène de ce film. Alors que toute la démarche de Batman nous a été détaillée dans le précédent opus, ici nous subissons celle du Joker, de la même façon que les habitants de Gotham, ce qui lui confère cette aura extraordinaire et fait de lui le personnage culte que nous connaissons.
    Pourtant, l’analyse à travers la mise en abyme explique absolument tout du Joker : c’est un metteur en scène nihiliste qui cherche à montrer que tout le monde peut devenir mauvais. C’est un artiste qui a perdu foi dans le monde et qui partage sa vision grâce au chaos. Il ne cherche ni l’argent ni à tuer Batman, mais à détruire ce qu’il représente : tout espoir pour les habitants de Gotham.
    Pour le contrer, Batman doit donc créer une mise en scène supérieure : lui-même passer pour le vilain afin de promouvoir le symbole moins controversé et mieux accueilli qu'est Harvey Dent.
    P.S. et spoilers : pour mettre fin au débat concernant la fin du film, il est indiqué que les policiers ont établi un périmètre de sécurité ce qui veut dire que personne ne pouvait quitter la scène sans être vu. Donc il est impossible de mettre le meurtre d’Harvey Dent sur le dos de quelqu’un d’autre.

  3. The Dark Knight Rises

    Le dernier film de la trilogie va jusqu’au bout de la démarche. En effet, malgré le succès de Batman pour se débarrasser de la criminalité, des problèmes plus concrets pour le public sont mis en avant (l’économie, l’environnement, l’aide sociale, le marché du travail, la réintégration des criminels, etc.). Cela pousse la population au désespoir (ou, encore une fois, au nihilisme) qui ne va pas agir contre Bane, et même Batman est clairement en dépression jusqu’à vouloir mourir au combat. Il va néanmoins retrouver son sens des responsabilités et empêcher les nihilistes extrémistes de semer la destruction.
    Au fil du film, il va réellement devenir un symbole aux yeux des spectateurs et spectatrices : sa mise en scène est moins explicitée, et le montage ainsi que le hors-champ semblent faire de lui un réel super héros. Concernant la mise en abyme, on peut rapprocher cela des artistes cultes qui sont entrés dans l’Histoire comme des légendes. Ensuite, Batman va trouver et inspirer un successeur. Comme il sait qu’il y aura toujours des problèmes à résoudre et qu’il reconnaît ses limites physiques et mentales, un successeur est obligatoire pour continuer son combat engagé. En terme de mise en abyme, cela montre que l’un des impacts des artistes est d’inspirer les générations suivantes à poursuivre leur combat. La seule chose que le film laisse en suspens est le sort de Batman : est-ce qu'accomplir son devoir lui a redonné la volonté de vivre, ou a-t-il succombé à sa dépression ? On retrouve là le schéma de l'artiste torturé, épuisé par sa volonté de changer les choses et ce que cela implique.
    Je peux comprendre que The Dark Knight Rises ait déçu : certains des choix faits peuvent être difficiles à comprendre sans cette lecture de la trilogie, et cela peut être perturbant de voir un film à la fois plus réaliste et plus symbolique. Je veux cependant insister sur la performance de mélanger mise en abyme, cohérence du film, cohérence de la trilogie à travers le parcours de personnages, traitement de sujets d’actualités (de 2012 certes, mais qui le sont toujours…) et enfin hommage au Conte des deux cités de Charles Dickens dans un seul film !

La trilogie entière est une leçon d'écriture. Ce sens de lecture passe totalement inaperçu et ne semble pas forcé, mais il créé de très fortes émotions. En effet, contrairement à pas mal d’autres films de super héros, les Dark Knight inspirent, donnent envie d’agir, de prendre ses responsabilités et de faire quelque chose pour le monde qui nous entoure. La démarche de Batman semble concrète parce qu’elle reflète celle du metteur en scène, et je ne peux que vous encourager à les revoir et à vous imprégner de leur message.

 

Rassurez vous, je ne vais pas autant détailler pour les autres films. Je vais juste rajouter ce qui me semble intéressant au cas par cas.

Déjà, la magie dans le film représente le cinéma puisque le lien entre les deux existe depuis Georges Méliès. Ensuite, la magie manipule également son public grâce à des artifices pour faire croire à quelque chose de faux (en l’occurrence, l’existence de la “vraie” magie) et elle utilise beaucoup de diversions.

La différence entre Le Prestige et les Dark Knight, c’est qu’il n’y a pas de nihilisme dans Le Prestige, c’est même une célébration de l’art et de ce que cela peut coûter : le bon magicien accepte pleinement les sacrifices nécessaires et la violence que cela peut engendrer (par exemple, la fameuse cage à oiseau). Il n’y a pas de notion de bien et de mal. Seulement deux protagonistes, dont l’un est totalement dévoué à son art, alors que l’autre a d’autres priorités (l’amour, la jalousie, la vengeance…), ce qui l’amène à utiliser un raccourci technologique (parallèle avec le numérique au cinéma) et à se “suicider” artistiquement (celles et ceux qui ont vu le film comprendront).

Je conseille évidemment ce film pour mieux comprendre la démarche de Christopher Nolan.

 

Inception est également l’une des plus pures représentations du cinéma de Christopher Nolan, sauf qu’il a utilisé des diversions encore plus complexes que dans les Dark Knight. Je vais devoir spoiler, évidemment.

Première chose qu’il faut mettre au clair : le totem de Cobb n’est pas la toupie, mais sa bague. La toupie est le totem de sa femme, Mal, mais elle est autant mise en avant pour des raisons que l’on va voir. Deuxième chose, le film est construit sur trois niveaux de lecture, comme le rêve construit par Cobb (et la démarche de Nolan), ce qui est le premier rapprochement entre rêve et cinéma que l’on peut faire. Quel que soit le niveau d’interprétation, le film est ouvert avec sa fin et seul le sens change.

  • Le casse : le premier degré d’Inception revient à prendre le film pour un simple divertissement (ce qui n’est pas un mal en soi je rappelle, cela fait partie de la démarche de Nolan). La question qui se pose à la fin est : est-ce que le casse est réussi ? Comme le film nous suggère que le totem de Cobb est la toupie, le plan de fin nous trompe en nous faisant nous poser la question. Et même en sachant que c’est la bague, le fait qu’il ne l’a porte pas peut 1) vouloir dire qu’il est dans la réalité, ou 2) qu’il n’a plus son totem et qu’il est donc piégé dans un rêve. Fin ouverte donc !

  • Les émotions : le second degré du film est émotionnel, l’objectif étant de savoir si Cobb va réussir à faire le deuil de sa femme Mal. À la fin, tout semble suggérer que oui, notamment l’absence de sa bague, mais comme la toupie lui fait également penser à sa femme, on peut se demander si le fait qu’il s’en détourne va être permanent ou non.

  • Mise en abyme : le troisième degré du film est la fameuse mise en abyme. En effet, un rêve d’Inception est construit comme un film : l’objectif est de tromper sa cible et de ne pas se faire démasquer, tout comme un film ne doit pas montrer son artificialité au public. Pour cela il faut utiliser une forme de réalisme (d’où l’absence de rêves extravagants) et pour réussir il faut une équipe composée d’acteurs, de scénaristes, de techniciens qui font les décors, etc. Cobb est le réalisateur, qui chapeaute tout et dont les idées et les émotions se répercutent sur tout le processus créatif. Il est en l’occurrence hanté par Mal qui, je le rappelle, est morte à cause de ses créations. D’ailleurs, Cobb est clairement en dépression puisqu’une scène le montre hésiter à se suicider (je rappelle que la toupie n’est pas son totem, donc à ce moment là il ne cherche pas à savoir s’il est dans un rêve ou non). Cependant, à la fin on peut aussi voir les bienfaits de ses créations sur le personnage de Robert Fischer (joué par Cillian Murphy). C’est à nouveau une représentation de l’artiste engagé et torturé dont les créations peuvent construire ou détruire. La fin ouverte concerne la dépression de Cobb : va-t-il se détourner définitivement de la toupie, ou est-ce que cette noirceur suicidaire va le retrouver ?

Avec cette lecture, on comprend qu’il n’y a pas vraiment d’importance que la fin soit dans un rêve ou non (à part au premier degré pour l’effet choc). Ce qui compte, ce sont les émotions, c’est-à-dire l’impact de l’inception sur Fischer ainsi que le deuil et la dépression de Cobb. Tout comme The Dark Knight Rises, nous sommes sur un film très personnel qui parle de création et de dépression, du rôle de la fiction dans la réalité et bien sûr du pouvoir manipulatoire du cinéma. Il y a d’ailleurs 3 inceptions (qui je le rappelle, provoque la naissance d’une idée) : celle sur Mal, celle sur Fischer et celle… sur le public, provoquée par la fin ouverte. Elle questionne quelle que soit le degré d’interprétation et fait donc germer une idée dans nos esprits.

 

Je ne vais pas beaucoup m’appesantir (jeu de mot sur la gravité) sur Interstellar, cependant j’aimerais en profiter pour expliciter deux aspects de la démarche de Nolan (oui, il y a encore des choses à détailler).

Tout d’abord, le “réalisme”. En effet, il est de notoriété publique que Christopher Nolan fait son maximum pour donner une patte “réelle” à ses films. Il faut bien comprendre que l’objectif n’est pas d'être vraiment “réaliste” mais de donner cette impression afin d’augmenter l’immersion du spectateur. Cela est évidemment lié à sa démarche de manipulation et de divertissement, mais aussi à la fameuse mise en abyme. Par exemple, le réalisme des Dark Knight et d’Inception sert exactement à ça puisque l‘on parle directement de mise en scène. Dans Interstellar, cela sert à mettre en avant le sujet environnemental, la difficulté du voyage spatial si on en arrive là, mais aussi à opposer de manière assez frontale le pragmatisme aux émotions (ce qui a justement pu décontenancer certains spectateurs).

(Spoiler pour Interstellar, Memento et Tenet !!!) L’autre aspect que je voulais aborder, c’est la fin dans laquelle on découvre que le personnage principal est en fait responsable de sa propre destinée. On peut voir cela dans Memento, dans Tenet sur lequel on va revenir et dans Interstellar. Ce gimmick alimente l’aspect divertissement puisque cela créé un retournement, mais c’est encore une fois au service de la mise en abyme : le personnage écrit sa propre histoire, voire se manipule, ce qui nous ramène à Nolan lui-même qui se projette en tant que metteur en scène et scénariste.

 

Oui, Christopher Nolan n’a pas contribué à la série Westworld. Elle est cependant scénarisée par son frère Jonathan, et on voit bien qu’ils avaient collaboré jusque là : narration dans le désordre, manipulation et retournements, une vision nihiliste de l’humanité et une mise en abyme puisqu’on parle d’écriture scénaristique dans le parc et que l’on trace des parallèles entre les robots et les humains.

Je vais utiliser cet article pour fortement recommander la saison 1 que je trouve extraordinaire. Si les thèmes des saisons suivantes restent très intéressants, ces dernières ont malheureusement les défauts classiques des séries qui faiblissent : personnages qui perdent de leur intérêt, retournements tirés par les cheveux, scènes d’action qui se veulent grandioses mais qui sont peu crédibles, etc.

Bref, je trouve que cela entache la première saison qui peut se suffire à elle-même, donc foncez !

 

Dunkerque annonce un tournant dans la filmographie de Christopher Nolan : c’est un film avec très peu de dialogues, soit l’opposé de ce à quoi il nous a habitué. Niveau divertissement, on est évidemment servi, d’ailleurs il est rare que des films basés sur des histoires vraies le soient autant. Par contre le thème principal qui est généralement explicité dans les films de Nolan ne l’est pas ici, ce qui veut dire qu’il y a deux sens de lecture à rechercher.

Je pense que le sens premier du film est tout simplement d’être profondément anti-guerre. Déjà, la violence n’est pas graphique (ce qui est à la mode depuis Il faut sauver le soldat Ryan) donc elle n’est pas sublimée. Les soldats ne cherchent pas à vaincre héroïquement l’ennemi mais simplement à survivre. On voit également les conséquences post-traumatiques de la guerre et les victimes civiles. Quant au seul personnage que l’on pourrait considérer comme un héros : il avait pour but de sauver des vies, il finit capturé (destin peu enviable donc).

Concernant la mise en abyme, déjà on peut parler des 3 sous-scénarios (terre, mer, air), mais c’est surtout la fin qui donne un sens intéressant, avec le discours de Churchill lu par le protagoniste. Croire que cela encense les anglais est un contre-sens : le regard vide du jeune soldat le prouve. Il n’y a rien eu de glorieux dans cet évènement et nous en avons été témoins : nous avons seulement vu des soldats anonymes essayer de survivre. Le discours de Churchill est donc une manipulation alors que le film est plus sincère.
L’objectif de Dunkerque est de montrer que la fiction peut être plus réelle que notre perception de la réalité, et que l’Histoire, ou ce qu’on en retient, peut être plus fictionnelle que la fiction : on retrouve encore une fois l’intérêt du réalisme du film et une réflexion sur le pouvoir de la fiction et de l’art.

Pour conclure, donner le sens du parcours du personnage et de tout le film en un plan, c’est très fort.

 

8) Tenet

Tenet confirme la tendance amorcée par Dunkerque dans la filmographie de Christopher Nolan. Dans le film, seul un dialogue entre le protagoniste et l’antagoniste résume le thème principal : l’affrontement entre le nihilisme destructeur et le devoir de sauver le monde (à nouveau).
Et oui, cette fois-ci l’opposition n’est pas dans la mise en abyme, mais dans la construction même du concept du film : le temps qui avance dans les deux directions, des personnes dans le futur qui cherchent à détruire et d’autres qui cherchent à sauver, le fait que le passé est passé et qu’il faut avancer, une lutte littérale entre le présent et l’avenir ou encore les combats de ceux qui avancent contre ceux qui reculent. Beaucoup de répliques font sens dans le scénario mais sont en fait à interpréter selon notre vision du monde et de l’avenir : cela donne de la profondeur au concept et rend Tenet bien plus subtil qu’il n’y paraît.

Malheureusement, il l’est beaucoup moins sur d’autres aspects : ce sont l’action et les plans qui sont explicités, et j’avoue que je ne comprends vraiment pas pourquoi Nolan a fait ça. Il a toujours explicité certaines choses, mais jamais au détriment du rythme et surtout pas pour des explications qui n’ont pas de sens métaphoriques ou symboliques.

Malgré tout, on est sur un film toujours bien plus intéressant que la moyenne qui contient d’autres propos pertinents (comme le féminisme à travers le personnage de Katherine). Personnellement je recommande deux visionnages, le premier pour l’aspect divertissement et compréhension, et le second pour l’aspect émotionnel. En effet, on découvre à la fin (spoiler !!!) que le protagoniste écrit sa propre histoire (coucou mise en abyme), mais également (et ça tout le monde ne l’a pas vu) que l’enfant de Katherine est en fait Neil qui a remonté le temps. Cela permet de bien plus s’attacher aux personnages, puisque le protagoniste ne semble plus subir le scénario et que sa relation avec Neil est très touchante une fois remise dans son contexte.

 

Alors que c’est un biopic, Nolan n’appliquera pas la même démarche qu’avec Dunkerque. L’objectif du film n’est pas de prouver que la fiction peut être plus réelle que le réel, mais simplement de faire un film tout ce qu’il y a de plus artistique (ce qui est finalement rare dans les biopics). Comme pour Dunkerque, le thème principal n’est pas évoqué verbalement : le film parle bien sûr de l’autodestruction humaine à travers l’invention de la bombe atomique, mais aussi à travers la méfiance politique ou la recherche du pouvoir.

Oppenheimer raconte l’histoire d’un homme qui en vient à presque renier ses convictions pour décrocher un projet qui le ferait entrer dans l’histoire. Il va chapeauter ce projet en coordonnant différentes équipes et en naviguant à travers la politique de ceux hiérarchiquement au-dessus de lui. Le tout pour perdre le contrôle sur sa création qui n’est plus entre ses mains, mais dans celles d’un monde qui a les problèmes qu’on lui connaît.

Et c’est à nouveau une mise en abyme du métier de réalisateur. Oppenheimer, c’est un metteur en scène prêt à renier ses valeurs pour accepter le projet d’un gros studio qui pourrait le faire entrer dans l’Histoire. Il va coordonner différentes équipes afin de créer un film, tout en naviguant politiquement avec le studio. Tout ça pour perdre le contrôle de son œuvre dans une vision nihiliste du monde, où la création peut engendrer la destruction et passe au second plan face à des considérations beaucoup moins importantes, comme la recherche du succès. (Je pense qu’il y a un gros parallèle à faire entre le monde politique et les studios, et le timing est plutôt bon vu sa brouille avec la Warner)

On peut pousser le parallèle encore plus loin, puisqu’on peut voir l’abstraction du monde quantique comme un reflet de l’imagination. Le monde des scientifiques est en fait très proche de celui des artistes : il existe différentes écoles, ils ou elles s’inspirent les un(e)s les autres mais entretiennent également des rivalités, les plus ancien(ne)s sont souvent dépassé(e)s, et bien sûr leur création est le fruit du contexte dans lequel ils ou elles évoluent. Cette mise en abyme n’est comme d’habitude pas explicite mais j’aime beaucoup les différentes petites allusions du genre “C’est paradoxal pourtant ça marche” ou encore “Tu caches ta simplicité derrière une fausse complexité”. Le film est perclus de petites touches de ce genre, mais on peut complètement passer à côté et apprécier le film pour son premier degré : un sacré bon biopic qui parle de thèmes variés à travers un personnage intéressant.

 

10) Conclusion

Lorsque j’ai analysé la démarche de Christopher Nolan, j’ai pu parler de diverses opinions sur le bonhomme : sachez que ce n’est généralement pas pertinent et peu constructif. Mais dans ce cas précis, il me fallait montrer que Nolan ne met pas en avant la mise en abyme de ses films et que leur perception est donc tronquée.
D’ailleurs, cela me met aussi en désaccord avec ceux qui le défendent puisque sans cette grille de lecture, les arguments utilisés sont rarement les bons.

Comprenez aussi que ça n’oblige personne à aimer ce qu’il fait : déjà, on ne peut pas reprocher au public de ne pas avoir perçu quelque chose qui est volontairement discret. Ensuite, la mise en abyme ne rendra pas son cinéma plus attirant pour celles et ceux qui ne sont pas intéressé(e)s par la mise en scène ou la narration. Pour rappel, l’art est personnel et sa réception aussi ! Seul(e)s celles et ceux qui prêchent leur opinion ou leur analyse incomplète comme des vérités sont à critiquer.

Au final, la seule différence entre la démarche de Christopher Nolan et celle des autres artistes, c’est qu’elle force le respect. En plus d’avoir une approche originale, pertinente et divertissante, il a réussi le tour de force (ou plutôt le tour de magie) de camoufler le sens premier de sa filmographie aux yeux de tout le monde. Et pour ça, bravo !

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