Ichirō Ōkouchi
Ichirō Ōkouchi est un scénariste d'animés relativement peu connu malgré les œuvres sur lesquelles il a travaillé. Ces animés, du moins ceux que j'ai vus, sont parfaits pour évoquer une problématique constante dans notre perception des œuvres : la relation entre l'art et le divertissement.
Précision : dans cet article, nous parlerons uniquement de l'animé original Code Geass. Pas des mangas faits ensuite, pas des OAV que je n'ai pas vu, et pas des films alternatifs que je vous déconseille fortement.
1) Code Geass
J'étais au lycée lorsque j'ai découvert Code Geass. J'ai évidemment adoré, que ce soit son mélange des genres, son rythme très efficace et ses retournements inattendus. J'avais néanmoins davantage de réserves sur la saison 2 qui est généralement considérée comme inférieure. Par exemple, le mélange des genres semble devenir artificiel lorsque Code Geass de concentre sur "les personnages au lycée" alors que des enjeux bien plus importants et divertissants sont en cours. Je pensais à l'époque que l'objectif principal de Code Geass et toutes ses composantes était de satisfaire son public : utiliser le mélange des genres pour toucher un maximum de personnes, aller à cent à l'heure, surprendre, mettre un peu de fan-service, etc. Ce qui rendait Code Geass exceptionnel, c'était d'avoir réussi d'intégrer de la profondeur morale dans un tel divertissement.
Sauf qu'en revisionnant Code Geass récemment, mon avis a changé : depuis, je me suis renseigné sur Ōkouchi et j'ai visionné ses deux autres œuvres que nous aborderons ensuite. Cela m'a permis d'apprécier son approche d'auteur et de comprendre que Code Geass est le résultat de sa démarche : ce n'est donc pas un divertissement à la base, mais une œuvre pleinement artistique, une réflexion sur la nature humaine, ce qu'est la vie et comment la vivre, qui dépasse de loin le seul cadre moral que j'avais apprécié étant plus jeune. Les batailles si divertissantes posent la question des sacrifices nécessaires pour pouvoir vivre libre. Nous en reparlerons dans un article dédié mais l'Attaque des Titans et Code Geass ont beaucoup de similarité sur leur fond.
Le simple fait de considérer l'animé comme le point de vue d'un artiste avant d'être un divertissement a changé mon appréciation : le mélange des genres n'est pas un artifice pour brasser un large public, mais le résultat d'un propos qui se veut global, qui a besoin de montrer des personnages aux convictions différentes, et des moments de paix qui sont sacrifiés pour la bonne cause mais également chéris pour donner de la valeur au combat. Ce changement de perspective me permet de donner un sens aux faiblesses que je trouvais à Code Geass, et maintenant mes seuls reproches sont quelques rares maladresses lorsque l'animé aborde des sujets complexes, le fan-service qui est uniquement présent dans le visuel et pas dans l'écriture, et une petite exagération sur le nombre de personnages féminins qui tombent amoureuses du héros sans que ce soit toujours justifié. Dans les qualités, je rajouterais qu'il y a un petit aspect méta intéressant, Lelouch étant un protagoniste qui aime la mise en scène, qui joue le rôle du personnage de Zéro qu'il a créé de toute pièce, etc.
Essayer de comprendre le point de vue d'un artiste est très différent de considérer une œuvre comme un produit, et il faut en être conscient pour pleinement apprécier un divertissement ou de l'art. Il faut également savoir qu'une œuvre peut être à la fois artistique et divertissante : Code Geass est dans ce cas de figure, c’est une œuvre profonde et pertinente, et un divertissement d'extrêmement bonne qualité. Je vous recommande donc son visionnage pour apprécier ou ré-apprécier son action, ses retournements et ses réflexions.
Devilman Crybaby est l'adaptation du manga culte des années 70, Devilman, par le réalisateur complètement barré Masaaki Yuasa. Néanmoins, il faut donner beaucoup de crédit à Ōkouchi pour le scénario car Devilman Crybaby n'est pas une simple adaptation : c'est une transposition de ses propos dans l'ère moderne. Et même si une bonne partie des éléments proviennent du manga qui était largement en avance sur son temps, Ōkouchi a de nouveau fait un récit profond, pertinent, axé sur la dualité entre les personnages, avec une fin coup de poing, bref, un petit bijou.
Je ne vais pas en dire davantage car je conseille grandement cet animé de 10 épisodes, cependant il nécessite un avertissement : là, nous ne parlons pas d'une œuvre qui a pour but de divertir. Devilman Crybaby est dérangeant, étrange, violent, choquant. C'est une œuvre artistique au sens le plus pur du terme : on ne regarde pas cet animé pour le plaisir, mais pour vivre une expérience qui ne laissera pas indifférent. L'objectif est de recevoir la vision d'un scénariste, d'un réalisateur et d'un mangaka de génie, qui veulent nous parler de l'humanité, dans ses aspects les plus sombres et les plus beaux. Si ça ne vous fait pas peur, foncez !
Le troisième animé scénarisé par Ōkouchi, qui revient aux méchas avec la franchise culte Gundam. Lors de la sortie de la première partie de la première saison avec son film prélude, j'étais conquis : un nouveau tour de force, à la fois divertissant et pertinent, avec des personnages attachants et un souffle épique vers le progrès... Puis ce fut le drame : l'animé ne fut pas renouvelé pour une deuxième saison, il n'avait donc plus qu'une moitié de première saison pour finir tout son récit.
Sans être honteuse, la seconde partie ne contient pas l'équilibre si subtil de la première partie : le récit est maladroit, séparant les moments se concentrant sur les personnages, les moments se concentrant sur l'action et les moments abordant les sujets complexes, alors que tout se mélangeait parfaitement au début. L'histoire est accélérée et c'est dommage car Witch from Mercury reste pertinent sur tous ces aspects, notamment avec de nouveau une importance sur l'école et l'éducation. Il y a toujours des parallèles à faire avec Code Geass, que ce soit certaines constructions de personnages ou la façon d'amener certains retournements, mais l'animé a sa propre ambiance et des thèmes différents.
Sombre époque où un animé avec un tel potentiel et une première partie si qualitative se voit privé de devenir culte par manque de succès... Si l'intégralité de l'oeuvre avait été comme la première partie, je l'aurais recommandé les yeux fermés : là, je vous le conseille quand même pour tous ses propos pertinent, mais la manière de les amener a des maladresses et pourra vous détacher des personnages et du récit. C'est la vie !
4) Conclusion
Ichirō Ōkouchi est un brillant scénariste et j'aime beaucoup son travail. Contrairement à mes idées reçues lors de mon premier visionnage de Code Geass, il aborde de nombreux sujets et essaie de parler de la vie en général, la preuve avec ses derniers travaux en date : il participe autant à l'adaptation de Kaiju n°8 que de Spy × Family. C'est un scénariste qui a parfaitement compris que le divertissement et ce qu'il veut transmettre peuvent exister en symbiose, et d'après moi il faut que le public aussi ait conscience de cela pour éviter de lancer des critiques injustifiées, autant celles et ceux qui attendent du divertissement que celles et ceux qui veulent absolument de l'art.
Le coup de maître au succès retentissant d'Ōkouchi restera Code Geass, mais il faut absolument noter son travail sur Devilman Crybaby. J'espère que Witch From Mercury ne l'aura pas déçu de développer ses propres histoires, car j'ai hâte de voir ce qu'il nous réserve !
Aparté
Je profite de cet article pour parler de quelque chose qui n'a rien à voir avec Ōkouchi directement : la musique. Les compositions originales de Code Geass sont aussi variées que cultes, la musique de Witch From Mercury est très efficace malgré le fait qu'elle ne soit pas mise en avant par le mixage, mais c'est surtout la musique de Devilman Crybaby qui mérite une mention. Elle ne vous laissera pas insensible si vous regardez l'animé, mais même écouter les 2 heures de bande-son sans connaître l'animé vous fera comprendre l'ambiance dingue de l'œuvre.