The Legend of Zelda: Tears of the Kingdom
Alors que The Legend of Zelda: Tears of the Kingdom est l'un des cartons vidéoludiques de l'année, j'aimerais utiliser ce jeu pour discuter du concept de suite et des problèmes qu’il pose.
1) Le syndrome de la suite
Il est très probable qu'une suite déçoive à cause de ce que je vais appeler le syndrome de la suite. En effet, le public va se plaindre de redondance si la suite est trop similaire à l'opus précédent, ou crier à la trahison si elle s'en éloigne. Cela pose donc une question conceptuelle : pourquoi faire une suite ?
La réponse est souvent : parce que l'opus précédent est un succès financier. Si le public l’a apprécié, il est admis qu’il va en redemander, ce qui devrait garantir un succès similaire voire supérieur pour sa suite. Par contre, la question que personne ne semble se poser est : quels éléments de l’œuvre initiale sont à l’origine de cette demande de suite ?
Si l'opus précédent a été apprécié parce qu’il est novateur, alors le concept même de suite ne va probablement pas satisfaire le public. Si c'est l'arc narratif d'un personnage, le problème est que le prolonger revient à le changer. Et si c'est l'expression artistique, c'est-à-dire l'expression personnelle des artistes, le cadre d'une suite est contraignant et il vaudrait mieux créer une autre œuvre qui sera plus adaptée à ce qu'ils ou elles cherchent à exprimer. Ces arguments et le nombre de suites décevantes devraient pousser le public à arrêter d’en demander.
Sauf qu’il y a évidemment des suites qui ont réussi à respecter ce qui les précède sans être dans la répétition. Généralement, c’est parce que le récit est construit comme n’importe quel autre, c'est-à-dire en suivant des principes narratifs comme la fameuse structure en 3 actes (détaillée dans mon article sur Black Mirror). Le premier opus devient alors une introduction utilisée comme base, qui sera développée dans le second en approfondissant le sujet/thème/propos. Le public ne ressent pas de redondance, mais un sentiment de progression même si les œuvres sont séparées de plusieurs années. C'est d'ailleurs pour refléter cette structure que beaucoup de récits sont sous forme de trilogie. Malheureusement, cela ne garantit pas pour autant le respect des principes narratifs : beaucoup de trilogies font partie des victimes du syndrome de la suite.
Du coup, qu’en est-il de Zelda: Breath of the Wild et de sa suite Zelda: Tears of the Kingdom ?
Je ne pense pas avoir besoin de beaucoup m'attarder pour expliquer pourquoi Breath of the Wild, c'est bien. Selon moi, son succès repose sur la façon dont son concept est appliqué dans tous les aspects du jeu.
La clé de voûte du jeu est son open-world. Les développeurs et développeuses ont construit un monde dans lequel on peut se balader de manière libre : le gameplay de Breath of the Wild est donc centré sur l'exploration. La progression est basée sur les sanctuaires qui se trouvent dans tout Hyrule, ce qui nous pousse à les chercher un peu partout. Le level design est pensé pour toujours attirer l'attention du joueur ou de la joueuse sur des points d'intérêts et l'encourager à s'y rendre. Et si il ou elle rencontre un obstacle, il ou elle doit simplement explorer ailleurs afin d’avoir davantage d'endurance ou de ressources.
L'histoire a été écrite en adéquation avec le concept. Elle est simple afin que le joueur ou la joueuse puisse rapidement se balader dans l’open-world, mais elle donne surtout un sens au gameplay : en parlant de technologie qui s'est retournée contre ses créateurs et qui a mené à un retour à la nature, Zelda a un propos environnemental fort qui n'a pas besoin d'être souligné dans les dialogues. Le jeu privilégie pour cela les heures de balade immersive dans les milieux naturels d'Hyrule. Le peu de personnages et le minimalisme de la musique créent un calme et un apaisement qui font un contraste avec notre réalité moderne.
Au passage, cette approche est très bien pensée puisqu’elle permet également de ne pas être trop ambitieux techniquement avec un open-world peuplés personnages non jouables (PNJ).
Pour résumer : l'objectif du jeu est son open-world donc tout a été fait, des décors jusqu’au gameplay, pour pousser à l’exploration. On peut bien sûr préférer les jeux qui ont plus d'action ou qui sont plus challengeants, mais Zelda: Breath of the Wild est parfaitement cohérent dans son concept et son exécution.
3) Les problèmes de Zelda Tears of the Kingdom
La suite de Breath of the Wild tombe dans le piège naturel des suites : la redondance. En effet, même si on nous présente dès le début des nouvelles zones à explorer, on comprend rapidement qu'il va falloir de nouveau débloquer des sanctuaires et des tours dans Hyrule (qui, heureusement, ne sont pas au même endroit). Cette volonté de coller au précédent opus a plusieurs conséquences :
- La multiplication des ressources devient bloquante, surtout au début. L'exploration nécessite des ressources qui se trouvent dans les autres zones, ce qui veut dire qu’il faut souvent arrêter ce que l’on est en train de faire pour explorer ailleurs, ce qui rend le jeu beaucoup moins fluide et frustrant. Il le devient moins une fois que l’on a suivi une bonne partie de la quête principale et que l’on a débloqué certaines capacités.
- L'objectif du jeu étant de répliquer le précédent en lâchant rapidement le joueur ou la joueuse dans l’open-world, énormément d'informations concernant le gameplay sont transmises au début. Mais soit les instructions sont données de manière explicite, ce qui est considéré comme du mauvais game design puisque cela réduit l’immersion, soit l’effort d’ancrer les explications dans l’univers est maladroit ce qui rend certaines indications pas claires.
- En parlant d’immersion, Zelda: Tears of the Kingdom l'est bien moins que Breath of the Wild. En plus des indications du début, on peut se poser beaucoup de questions sur la cohérence de l'univers, comme le fait que l'on doive cartographier Hyrule alors que Link l'a déjà fait dans le premier jeu et y vit depuis plusieurs années. D’ailleurs, il n’est quasiment jamais fait mention du premier jeu, comme si ce n’était pas pleinement assumé narrativement parlant. C’est probablement pour pouvoir accueillir celles et ceux qui n’ont pas joué à Breath of the Wild mais c’est problématique pour les autres.
- Pour achever cette immersion, de nombreux personnages donnent ou répètent maladroitement des informations, notamment pour pousser le joueur ou la joueuse à suivre la quête principale pour compenser les problèmes précédents. Cela a pour effet d'exposer l'artificialité du jeu, puisque les personnages ne semblent pas vivre dans cet univers mais seulement être là pour guider Link.
- Enfin, Tears of the Kingdom cherche tellement à reproduire le premier opus dans sa structure, qu’il n’en profite pas pour être plus ambitieux : nous parlons d’une suite d’un jeu adulé, et probablement le dernier se passant dans cette version d’Hyrule. La fin ne semble pas particulièrement plus épique ou plus extraordinaire que celle du premier.
Si je résume, l’intégralité des problèmes viennent de cette volonté de vouloir coller à Breath of the Wild, notamment en poussant le joueur ou la joueuse à l’exploration en le/la lâchant rapidement dans son open-world. Sauf que comme expliqué ci-dessus, pour en profiter pleinement il faut d’abord apprendre les nombreuses mécaniques de gameplay et avancer la quête principale afin de débloquer certaines capacités. Ce paradoxe conceptuel se fait au détriment de la cohérence de l’univers qui justifie mal certaines mécaniques de gameplay, compense par des instructions explicites ou maladroites, et utilise les PNJ pour pousser le joueur ou la joueuse dans une direction.
De plus, ce problème conceptuel semble artificiel puisque rien n'obligeait à strictement recopier la recette de l'opus précédent. On pouvait commencer par un jeu d'aventure (comme, au hasard, Ocarina of Time) qui deviendrait un open-world lorsque le gameplay est maîtrisé et que certaines capacités sont débloquées.
Une autre possibilité aurait été de simplifier drastiquement l'exploration d'Hyrule puisqu'elle a déjà été faite dans le précédent jeu. Cela aurait réglé le problème du blocage des ressources, de la redondance et d'une partie de l’immersion. Seules les nouvelles zones auraient été réservées à de la pure exploration et au nouveau gameplay, et le seul détriment aurait été la diminution de la durée de vie de Tears of the Kingdom. En l'état, cette durée de vie semble artificielle.
4) Les qualités de Tears of the Kingdom
Tears of the Kingdom a bien sûr de nombreuses qualités.
- Il y a quand même une simplification de l'exploration d'Hyrule : les tours qui permettent de rapidement se rendre à d'autres endroits dès que l'on a le pouvoir du Sage du vent et de l'endurance. C’est selon moi insuffisant, mais c’est bien la preuve que les créateurs et les créatrices du jeu étaient sur la bonne piste.
- Il y a beaucoup de nouvelles formes de gameplay, à travers les nouveaux pouvoirs de la tablette, les effets de nouvelles ressources, les pouvoirs des Sages et bien sûr les différentes mécaniques d'exploration dans les nouvelles zones.
- Le level design est toujours plus impressionnant. C’était l’aspect du premier qui permettait d’appliquer le gameplay d’exploration, et il y a maintenant 3 zones qui peuvent communiquer les unes avec les autres. C’est clairement le point d’expertise des deux jeux.
- Il y a eu un gros travail sur le game design pour faire tenir toutes les manipulations possibles sur la manette et essayer de les faciliter. Il y a quelques points que j’estime améliorables mais c’est du “chipotage”.
- Les nouveaux ennemis que l’on rencontre sont très réussis, autant sur leur design que sur le gameplay pour les affronter. Je pense notamment à ceux qui ont des aspects particulièrement menaçants et qui sont accompagnés d’une musique plus oppressante.
- Les cinématiques sont très bien mises en scène, avec une très bonne qualité graphique, et une pertinence narrative.
- Le jeu reste thématiquement cohérent : grâce à la perte des armes et au pouvoir Amalgame, Link peut avoir des armes dignes des hommes de Cro-Magnon, ce qui prolonge la thématique technologique de Breath of the Wild. D'ailleurs, si le joueur ou la joueuse peut construire tout un tas d'appareils technologiquement avancés pour explorer, certains ennemis s'en servent comme des armes pour attaquer Link, ce qui renvoie au potentiel danger de la technologie. Enfin, la quête principale fait référence à des problématiques modernes de notre société, comme la surconsommation ou le changement climatique, tout en opposant la recherche du pouvoir à la coopération constructive. C’est donc un jeu artistiquement pertinent, et c’est pour moi le plus important.
5) Conclusion
Je vais évoquer ici un dernier point qui est un peu ambigu : les hommages aux films de Hayao Miyazaki. En effet, les nouvelles zones sont directement inspirées du Château dans le ciel et de Nausicaä, et il y a d’autres références ou ressemblances à d’autres film du réalisateur : costume, musique, etc. Cela est pertinent dans le cadre du propos environnemental et rien ne me fait plus plaisir que de me balader dans des représentations de ces univers et de voir des clins d’œil artistiquement cohérents. Cependant, les ressemblances et les références sont telles que l'on peut légitimement crier au plagiat et critiquer le manque de créativité des concepteurs et des conceptrices du jeu.
Personnellement ça ne me poserait pas de problème… s’ils et elles avaient remercié Miyazaki dans les crédits de fin de jeu ! Ce n’est malheureusement pas le cas, et je trouve cela un peu facile.
L'objectif de cet article n'est absolument pas de dire que Tears of the Kingdom est un mauvais jeu. Il m'a fallu personnellement du temps pour réellement entrer dedans à cause des problèmes évoqués précédemment. Mais une fois que l’exploration est devenue fluide et que j’ai pu voir les aspects artistiques et le propos environnemental, le jeu m’a semblé plaisant, pertinent et recommandable. C’est juste dommage qu'à cause du syndrome des suites, il soit objectivement critiquable dans sa conception contrairement à son prédécesseur.
Sur ce, j'espère que vous avez pris plaisir à jouer à Breath of the Wild et à Tears of the Kingdom ou que je vous ai donné envie de vous y mettre !