Gen Urobuchi

Gen Urobuchi n'est pas un nom très reconnu en France, alors que c'est un scénariste d'exception qui est à l'origine d'animés cultes. J'aimerais donc parler de sa démarche narrative, recommander ses œuvres phares et utiliser son travail pour parler des genres artistiques.

 

1) La démarche d'Urobuchi

La force de Gen Urobuchi est sa façon de traiter le sujet de ses œuvres : avec énormément de profondeur, mais de manière accessible et divertissante. Il commence d'abord par introduire un concept intéressant et ses personnages, puis développe le récit jusqu'à ce que l'on se rende compte que l'œuvre et tous les éléments qui la composent sont en fait une réflexion philosophique vertigineuse. Et je pèse mes mots.

Si d’autres œuvres fonctionnent de manière allégorique et ont une démarche similaire, Urobuchi se démarque par l’intelligence du concept et la caractérisation des personnages. Ses derniers sont plutôt attachants, ce qui n’est pas toujours le cas pour les œuvres que l’on peut qualifier de “intellectuelles“. En effet, les personnages bénéficient d’un soin particulier : au lieu d’être uniquement au service des thèmes, ils sont une partie intégrante de l’allégorie et des problématiques. En gros, les sujets d’Urobuchi sont toujours suffisamment profonds et le concept suffisamment bien pensé pour y intégrer une réflexion sur l’humanité : le bonhomme ne rigole pas ! Je ne peux que vous recommander de vous pencher sur les animés de cet article : vous vivrez une expérience unique.

Petit avertissement : une réflexion philosophique qui se veut exhaustive inclut généralement certains aspects sombres du monde et de l'humanité. Si vous voulez éviter cela à tout prix, les animés écrits par Urobuchi ne sont pas les plus adaptés. Personnellement, je trouve que c'est justement dans des réflexions globales comme les siennes qu'il vaut mieux aborder ces sujets qui peuvent être désagréables.

 

2) Fate/Zero

Fate/Zero me semble être la meilleure porte d'entrée pour apprécier le travail d'Urobuchi. Le seul obstacle est le concept même de Fate, expliqué maladroitement durant les deux premiers épisodes. Cette maladresse peut avoir plusieurs explications comme le fait que Fate est à l’origine un jeu vidéo (Fate/stay night) qui explique généralement ses règles au début, ou le fait que Fate/Zero est un prequel au jeu et/ou à sa première adaptation animé. En tout cas, ces deux premiers épisodes sont plutôt mal rythmés, mais les personnages sont introduits et les enjeux sont posés.

Pour résumer, le concept de Fate se base sur des personnages historiques ou légendaires qui font équipe avec des humains pour chercher le Graal : la première équipe qui le trouve verra leur vœu s’exaucer. À partir du troisième épisode, l'animé nous montre tout ce beau monde interagir pour atteindre leur objectif, les vœux étant bien sûr très différents d’un personnage à l’autre. Différentes visions du monde se confrontent, à travers des dialogues passionnants et de l'action très bien animée (Fate/Zero est produit par ufotable, responsable quelques années plus tard de Demon Slayer). C’est la fin, que je ne spoilerais pas, qui provoque le vertige philosophique "Urobuchien".

Cette œuvre est très bien écrite, les personnages sont très intéressants (pour ne pas dire fascinants pour certains) et pour celles et ceux que la fin frustrerait, il faut se rappeler la nature de prequel de Fate/Zero. D’ailleurs, son succès permettra à populariser la franchise Fate qui est maintenant bien étendue avec beaucoup de jeux, mangas et animés.
Je n’ai personnellement pas voulu me plonger dedans puisque l'animé Fate/Zero se suffit globalement à lui-même, que j’ai regardé pour Urobuchi et que c’est la seule partie qu’il a scénarisée.

 

3) Psycho-pass

Psycho-pass est un animé de science-fiction dont le concept vient de notre cher Urobuchi. Il a notamment scénarisé la première saison et l'un des long-métrages qui lui fait suite, mais je recommande surtout la première saison.

Encore une fois, le concept et les personnages sont brillants. Cette œuvre rappelle certaines réflexions de Death Note (on va en parler dans un futur article) ou certains aspects graphiques de Blade Runner. J'aime particulièrement comment le concept intègre le fait que la violence engendre la violence. Il y a d'ailleurs quelques passages un peu gores pour appuyer ce propos.

L'œuvre jouit d'un rayonnement chez les connaisseurs et connaisseuses. Elle fait globalement l'unanimité et peut même être recommandée à ceux et celles qui ne regardent pas d’animés, grâce à ses nombreuses inspirations cinématographiques occidentales. Seul(e)s les réfractaires à la science-fiction n'y trouveront pas leur compte (même si c'est une fausse excuse, je parle des genres un peu plus loin dans l'article).

 

4) Puella Magi Madoka Magica

Bien que ce soit l'animé le moins accessible des trois, c'est celui que je recommanderais le plus ! Puella Magi Madoka Magica (que je vais appeler Puella par la suite) est un animé appartenant au genre des Magical girl mais à la sauce "Urobuchienne". Et oui ! Un animé sur des Magical Girl peut être une réflexion philosophique vertigineuse sur la vie, l'humanité et la société avec une touche de féminisme. Bien sûr, il existe déjà des œuvres sur des Magical Girl qui ont une profondeur insoupçonnée, mais je suis à peu près sûr qu’aucune ne va aussi loin que Puella grâce à Urobuchi. Et contrairement à mes deux précédentes recommandations, il y a en plus une créativité visuelle incroyable, ce qui est trop rare à mon goût dans l'animation (japonaise ou non) malgré les nombreuses possibilités.

Il existe beaucoup de produits dérivés de Puella (qui a d'ailleurs donné naissance à tout un sous-genre). Mais j'ai seulement vu et je recommande ce qui a été scénarisé par Urobuchi : la première saison de 12 épisodes (qui a été transformée en 2 long-métrages parce que pourquoi pas) et le 3ème film appelé Rebellion (qui est un peu plus maladroit dans ses explications mais qui explose en termes de créativité visuelle).

Normalement, vous ne devriez pas être déçu(e)s !

 

5) Les limites des genres artistiques

Les genres artistiques sont à la base des repères pour classifier les œuvres et faciliter les discussions à leur sujet. Mais cela devient un problème lorsque les genres et surtout certains codes qui leurs sont associés se mettent à façonner nos attentes, phénomène appuyé par une volonté d’exploitation (on peut par exemple citer les bien nommés "cinéma de genre" ou "cinéma d'exploitation").

S’il n’y a pas de mal à chercher le confort de certains codes et à adopter une posture de consommateur ou consommatrice, il me semble important de ne pas projeter ses attentes dans un contexte artistique : l’objectif est l’expression personnelle de l’artiste, pas l’application de certains codes. Cela veut aussi dire qu’en fonction de la créativité et de la démarche, il peut être difficile de classifier les œuvres artistiques dans les différents genres et les sous-genres : il faut être conscient de cette limite.

Il me semble également important de souligner que les codes ont été définis par des œuvres qui n’auraient jamais vu le jour si les artistes s’étaient conformé(e)s aux attentes du public : il est donc paradoxal d’accorder une trop grande importance aux codes apportés par ces références, tout en reniant la démarche créative qui leur a permis de naître. Je rappelle aussi que certaines œuvres majeures sont difficiles à catégoriser (Star Wars, Matrix, The Dark Knight…), prouvant que le respect absolu des codes et des genres n’est pas nécessaire au succès ni à la qualité.

Au final, il faut simplement remettre les codes dans leur contexte : ce sont des conventions, pas des règles, qu’un ou une artiste peut respecter, détourner ou ignorer. Les codes ne sont en aucun cas liés à la définition absolue des genres et des sous-genres, donc utiliser ces derniers pour nourrir certaines préconceptions est une erreur.
Urobuchi est un très bon exemple pour illustrer cela. Il respecte les fondamentaux des différents genres pour lesquels il écrit, mais intègre les codes et les conventions à sa démarche personnelle : il leur donne un sens ou le change, et pousse généralement la réflexion beaucoup plus loin par son écriture. Ses œuvres rentrent donc de manière factuelle dans certaines catégories, elles respectent ou détournent les codes, pourtant le meilleur adjectif pour les décrire reste “Urobuchiennes”. C’est le parfait cas d’étude pour montrer la distinction entre les genres, les codes et une démarche artistique personnelle.

 

6) Conclusion

Toutes les œuvres scénarisées par Urobuchi ont des aspects intéressants, même celles qui sont de moins bonne qualité. Celle qui me convainc le moins est Bubble, dans laquelle on perçoit une profondeur qui n'est pas du tout exploitée par le metteur en scène (un gâchis selon moi). Sa trilogie de film Godzilla est aussi très profonde, mais est desservie par les graphismes et la mise en scène qui réduisent l'attachement aux personnages. Je recommande Revenger par contre, un animé très sympathique qui contient des réflexions Urobuchiennes moins vertigineuses mais qui se ressentent tout au long du récit.

Dans tous les cas, je suis très content de parler de ce scénariste d'exception. Étudier son travail permet de comprendre le lien qu'il peut y avoir entre narration et philosophie, et montrer que l'on peut faire énormément réfléchir sans pour autant être ennuyeux. Un incontournable et même un modèle à suivre selon moi !

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