Star Wars

Star Wars... Adulée, critiquée, au centre des polémiques, aucune saga ne peut se vanter d'avoir fait ressentir des émotions aussi extrêmes. Et selon moi, la raison est narrative.

 

1) Le Voyage du Héros

Il est enfin temps pour moi d'imiter tous les amateurs de narration et de vous parler de Joseph Campbell. Ce monsieur a étudié les mythes et légendes et en a ressorti une structure récurrente : le Voyage du Héros. Le second nom de cette structure est "monomythe", puisque Campbell a affirmé que tous les mythes se basent sur cette structure. C'est évidemment faux et il y a des tas de contre-exemples pour le prouver, mais cette théorie racoleuse permet de poser la question : pourquoi rencontre-t-on beaucoup cette structure et ses variations dans l’Histoire ?

La réponse est assez simple finalement : parce qu'elle est efficace. Elle respecte la structure en 3 actes (et en est donc une variation plus détaillée), utilise la mécanique du "poisson hors de l'eau" où le ou la protagoniste est hors de son élément naturel afin d'exposer son univers, introduit le personnage du mentor pour remplir cette fonction, amène des pivots tragiques comme la perte de ce mentor, a une approche cyclique satisfaisante avec le retour à la maison de la fin, etc. Il semble donc assez naturel que des artistes se soient inspirés d'autres histoires utilisant cette structure, ou qu'ils ou elles soient simplement retombé(e)s dessus en se posant les bonnes questions narratives : comment introduire tout un univers au public ? Comment montrer la progression du protagoniste ? Etc.

Peut-être aussi que l'efficacité du Voyage du Héros a permis à certains mythes de gagner en popularité et de traverser le temps, contrairement aux autres qui ont été perdus puisque moins populaires : cela ferait naturellement que les mythes avec cette structure seraient plus nombreux avec un regard contemporain. Dans tous les cas, le Voyage du Héros est maintenant connu et malgré mon désaccord avec la partie “monomythe”, nous pouvons remercier Joseph Campbell pour cela.

 

Star Wars est souvent cité en exemple quand on parle du Voyage du Héros, cependant il serait une erreur de penser que c'est uniquement la structure qui rendrait le film narrativement exceptionnel. Les bons principes et les structures sont là pour aider à communiquer des émotions et/ou un propos au public, mais aucune qualité narrative n'est possible sans cette intention de base. De plus, il faut rappeler que le Voyage du Héros est une structure détaillée, récurrente et épandue, ce qui la rend prévisible et convenue : sans une réelle connexion grâce à une approche artistique et émotionnelle, le Voyage du Héros devient un handicap alors que le premier film Star Wars reste plaisant aujourd’hui (si ce n’est un peu lent comme les autres films de son époque).

La force de la trilogie originale de Star Wars n'est donc pas sa structure, mais son application. Tout d'abord, les personnages sont la priorité du récit. Cela peut sembler évident, mais il aurait été facile d'oublier les fondamentaux dans une trilogie aussi innovante sur le plan créatif que sur le plan technique. Ensuite, l'élément qui a selon moi énormément participé au succès de la saga, c'est cette créativité qui a pour origine de nombreuses inspirations. Lorsque l'on découvre un récit inspiré des films de samouraïs, des films de chevaliers, des westerns, des films de guerre et j'en passe, l'univers fictif semble sans limite grâce à toutes les autres possibilités qui nourrissent notre imagination.

C'est ainsi que la structure, les personnages et l'univers s'alimentent pour donner une œuvre exceptionnelle : Luke Skywalker veut quitter sa ferme selon le principe du Voyage du Héros, mais le spectateur ou la spectatrice veut la même chose afin d'en découvrir davantage sur cette galaxie. Entre la dimension mystique de la Force et la richesse de cet univers, la suite du film donne ce que le public demande et il veut même continuer à en découvrir davantage, ce qui donne le reste de la trilogie original et des découvertes toujours plus impressionnantes. Dans la trilogie originale, le Voyage du Héros est mis en abîme par le voyage des spectateurs qui vivent des émotions fortes dans l’espace.

À la fin de cette trilogie, l’univers Star Wars a donc une aura incroyable qui permet au public de fantasmer sur une infinité d'aventures à découvrir aux côté de personnages attachants.

 

Dans le paragraphe précédent, je mentionne l'intention artistique et narrative qui devrait être à la source d'un processus créatif. Selon moi, la prélogie Star Wars est un cas d'étude particulier car elle semble en être dépourvue. Elle préfère recycler les idées initiales de Lucas pour la trilogie originale (comme le personnage batracien qu'est Jar Jar Binks par exemple), construire son récit en s'inspirant de la trilogie originale, mettre en avant les effets visuels et sonores (qui sont normalement au service du récit et non l'inverse) et bien sûr vendre des jouets et des produit dérivés. En bref, la narration n'est clairement pas la priorité.

Prenons en exemple le parcours d'Anakin Skywalker. Comme Luke, lui aussi commence coincé sur Tatooïne. Mais si la scène des deux soleils est restée dans les mémoires pour nous avoir fait ressentir la mélancolie de Luke, Anakin n'a que quelques dialogues maladroits pour expliquer qu'il veut quitter la planète, devenir un Jedi et libérer les esclaves. Concrètement, le film n'arrive pas à nous faire ressentir l'envie d'un esclave d'être libre ! D'ailleurs, ce statut d'esclave ou son aversion pour celui-ci ne sera plus jamais évoqué dans la trilogie, alors que c'est une occasion rêvée pour créer un conflit idéologique et personnel avec le conseil des Jedi ou la République. Autre exemple qui concerne cette fois l'aspect artistique des décors : les marécages de Dagobah et la Cité des Nuages dans l'Empire contre-attaque. Les marécages évoquent le mystère et l'inconnu, comme les épreuves de l'apprentissage de la Force que va traverser Luke. La Cité des Nuages semble paradisiaque de l'extérieur mais est de plus en plus étouffante à l'intérieur, à l'image du piège qui se referme sur les personnages. On ne peut pas en dire autant de la planète des cloneurs ou des fonderies de Géonosis dans L'Attaque des Clones, qui sont simplement les lieux qui font avancer l'histoire sans aucune résonance émotionnelle avec les personnages. Dernier exemple : la scène des astéroïdes dans L'Attaque des Clones qui référence celle de l'Empire contre-attaque. Bien que techniquement impressionnante, il n'y a pas le moindre effort pour montrer de la surprise, de la crainte, ou une quelconque émotion forte d'Obi-wan pour investir le spectateur dans la scène. Dans la trilogie originale, nous ressentons l'audace de Han Solo et la crainte de Leïa, le tout ponctué de remarques humoristiques de C3-PO.

Finalement, à part pour quelques scènes, la prélogie a une approche très informative : elle montre une série d'événements se dérouler de manière neutre, sans implication émotionnelle ni artistique (à part la musique, merci John Williams). En effet, concernant l’expression personnelle d'artistes, il n'y a rien à en tirer : tout ce qui pourrait servir de fond comme les aspects politiques, la doctrine des Jedi ou le parcours émotionnel des personnages est volontairement survolé par la mise en scène et le scénario, qui n'assume aucun parti pris. De toute façon, le grand méchant est derrière tout ce qui se passe et on ne nous donne pas ses motivations pour en tirer une morale. Cela ne veut pas dire qu’on ne peut pas ressentir des émotions : après tout, ce qu’il se passe est tragique. Mais ce n’est clairement pas le résultat d’une démarche artistique tellement on ne décèle pas une intention claire dans les films.

Cependant, ces reproches artistiques ne s’appliquent absolument pas d’un point de vue divertissement : il y a une histoire dans laquelle il se passe des choses et c’est techniquement bien fait. Je dirais même que cette absence d'implication permet au public de plus facilement projeter ses propres attentes : "moi j'aime les effets spéciaux", "moi je n'aime pas car il n'y a pas le côté aventure", "moi j'aime l'histoire tragique", "moi j'aime les sous-entendus politiques", etc. C’est selon moi pour cette raison que la prélogie a son public et qu’elle est au centre de polémiques incessantes. Sans intention claire, chacun et chacune peut en tirer ce qu’il ou elle veut, ce qui est exacerbé par le fait que cela se déroule dans l’univers Star Wars : un univers pour lequel le public a généralement déjà de l'affect ou des attentes.
Personnellement, je considère la prélogie comme un cas d'étude intéressant mais rien de plus, puisque c’est la narration et les aspects artistiques qui me font vibrer.

 

L'intention de Disney derrière cette trilogie est beaucoup plus évidente : être au plus proche de la trilogie originale, notamment afin de fédérer le public après les polémiques de la prélogie. Et contrairement à cette dernière, les artistes impliqués avaient des intentions narratives et créatives beaucoup plus fortes. Selon moi, leur objectif était de retrouver la créativité originelle de Star Wars, mais ils se sont heurtés à l'objectif nostalgique de Disney : ils ont donc intégré cette problématique à leur histoire, ce qui a résulté en un récit qui contient son lot de particularités et de paradoxes.

Exemple : Rey, l'avatar du public, n'est pas contrainte à rester sur sa pauvre planète de sable contrairement à Luke. Elle y reste de son propre gré alors qu'elle a toute la liberté de partir explorer la galaxie. Si elle est l'avatar du public comme Luke, c'est comme si les artistes indiquaient que les spectateurs ou spectatrices n'avaient plus envie d'aventures et de découvertes tant qu’ils ou elles n’y sont pas poussé(e)s.
Une fois motivée à partir, Rey devra trouver sa place dans une mythologie déjà bien installée, problématique qui peut être le reflet des contraintes imposées aux artistes qui ne peuvent plus s'exprimer, ou évoquer le jeune public qui cherche de nouveaux modèles au milieu des héros vieillissant adulés par leurs parents.
Le cas de Kylo Ren est très intéressant aussi : il voue un culte au méchant Dark Vador, qui est effectivement un vilain iconique de la pop culture. Sauf que... il a un arc de rédemption dans Le Retour du Jedi. Est-ce que tout le monde l’a oublié ? C’est selon moi volontaire, pour montrer que le vilain de cette trilogie est dans l'erreur, mais c'est étrange de ne jamais revenir dessus et que même le public ne semble pas voir le problème.

La nostalgie fait donc partie de la thématique narrative de ces films. D'après moi, les artistes admettent à travers cette trilogie que cette nostalgie triomphe face à la créativité. Même Les Derniers Jedi, le film moins sage qui fait de son mieux pour cimenter la relève, a pour propos de ne pas aduler le passé mais d'en conserver les fondamentaux (comme les textes Jedi). Déjà il inclut toujours beaucoup d’éléments nostalgiques, mais surtout il rappelle les bases de la saga, ce qui est encore une énième répétition (même avec quelques changements) de ce que le public connaît déjà ! C’est donc une innovation de surface qui m’a personnellement frustrée, mais surtout cela condamne cette trilogie à être une discussion méta sur Star Wars au lieu d’avoir sa propre identité.
Et le plus gros désaveu est la fin de l'arc narratif de Rey dans L'Ascension de Skywalker, qui (SPOILERS) se terre sur Tatooïne. Donc le personnage qui devait quitter sa planète de sable pour trouver son identité, se retrouve à rester sur une autre planète de sable en prenant l'identité de quelqu'un d'autre : c'est clairement une régression du personnage qui est complètement préméditée. Symboliquement, la saga Star Wars toute entière a démarré par le personnage de Luke Skywalker qui voulait à tout prix quitter Tatooïne, et se termine par un personnage qui reste volontairement sur Tatooïne. Je suis persuadé que c’est voulu par les artistes de cette trilogie et ça en dit long sur ce qu’ils ou elles pensent de leur travail.

Alors oui, j'éprouve du respect pour les artistes qui ont su transformer une situation désagréable en un moyen d'expression, et de manière suffisamment subtile pour que peu de personnes le remarquent. Oui, je comprends que l'on puisse renier certains principes contre une grosse somme d'argent qui permet de sécuriser son avenir et celui de ses proches. Mais si la conviction créative de ces artistes étaient si fortes au point de se sentir obligés de dénoncer Disney, la direction de la saga Star Wars et même de son public dans les films, alors pourquoi avoir accepté ce poste ?
Pour ma part, même si l'analyse de cette trilogie est symboliquement bien plus intéressante que la prélogie, cela m'attriste profondément de voir à quel point la saga cinématographique Star Wars est artistiquement devenue l'antithèse de ce qu'elle était à la base.

 

5) Conclusion

Durant mon visionnage de la trilogie Disney, j’ai réalisé que Star Wars n'avait plus aucun intérêt pour moi qui aime l'art et la narration. J'irais même plus loin : tout cet univers fictif n'a plus aucune tangibilité dans mon esprit suite à un tel parcours. Je ne vois plus des personnages évoluer dans l'immensité de l’espace, mais les éléments d'un empire commercial qui veut me vendre son prochain produit. Et ce même pour la trilogie originale qui n’a pourtant pas été créée dans cet état d’esprit (à part peut-être Le Retour du Jedi) ! Donc vous imaginez bien que je ne vais pas prendre la peine de découvrir les autres œuvres de cette franchise, même si certaines ont sûrement eu davantage de libertés artistiques. Star Wars et moi, c’est terminé… Et ce n'est pas grave !

Si vous arrivez à tirer de la satisfaction d’une œuvre estampillée Star Wars, tant mieux ! Je ne veux en aucun cas vous retirer ça. Il y a des tas de raisons légitimes d’aimer n’importe quelle œuvre, le meilleur exemple étant les nanars ! Par contre, j’espère que ceux qui ont un appétit artistique et narratif comme moi ne se limitent pas à Star Wars parce que c’est connu et que beaucoup de gens en parlent. Il y a des tas d'artistes qui, pour une bonne partie d'entre eux et d'entre elles, ont été inspiré(e)s par la créativité de Star Wars et c’est plutôt là qu’il faut chercher l’héritage artistique de la trilogie originale. Narrativement, la franchise telle qu'elle est gérée aujourd’hui représente Tatooïne : ce qu'il faut quitter pour aller découvrir de nouveaux horizons ! Pour les autres, Disney et Lucasfilm ont aménagé Tatooïne, alors profitez en autant que vous voulez !

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